le respir des mots
Comme une apnee trop longue
15 heures…c’est le temps qu’il leur reste une fois à bord de leur embarcation de fortune (celle des passeurs), c'est-à-dire avant qu’elle ne se fende en deux sous le surpoids des êtres amassés, ou qu’elle ne soit engloutie par une vague trop forte ou un mouvement de panique.
15 heures…le temps d’une journée métro boulot minots.
15 heures …le temps du sursis entre la vie et la mort.
Je n’ose même pas imaginer la souffrance qu’il faille endurer avant pour arriver à faire ce choix. Décider de grimper dans un bateau pneumatique d’épaisseur de 1 mm pour traverser la Méditerranée en sachant que vous avez 15 petites heures de sursis. Quand la mort probable devient votre seul choix possible pour l’avenir, c’est que vous êtes désespéré, ou suicidaire. Suicidaires, ils ne le sont pas.
La mort probable est leur choix pour survivre dans ce monde. Un choix si compliqué, si dur à assumer. « Quand j’ai acheté ce gilet de sauvetage, je me suis dit que j’achetai le sac mortuaire de ma fille » La douleur de l’absence de sa fille de 10 ans exprimée sur scène par Talal résonne dans mon cœur, le manque …insoutenable…comme une apnée trop longue...
L’auditoire est suspendu au filet d’air qui s’échappe de sa gorge serrée. Ici et là, dans la salle on entend les spasmes d’une respiration coupée par l’émotion. Les visages sont fermés. Les joues portent les traces d’un sel échappé des yeux même des plus solides d’entre nous.
On se raccroche tous à l’image d’un petit bout d’homme de 5 mois miraculé des flots pour sourire à la vie.
Je suis au premier rang d’un spectacle dramatique. Impuissante. En colère. Bouleversée par l’inhumanité des hommes. Les migrants ne savent pas nager et pourtant ils se jettent à la mer.
15 heures ….ils confient leur destin à 15 petites heures espérant qu’un navire d’une ONG les aperçoive et les sauve. Certains meurent d’étouffement tant les corps sont pressés, d’autres succombent à l’épuisement ou à la panique. Beaucoup trop se noient et découvrent le goût de l’eau de mer ce jour-là, le goût amer de ceux qui gisent au fond. Car c’est ça la réalité de cette grande bleue, loin des clichés des cartes postales de la côte d’azur. Ces abimes-là ont un goût de mort.
Ils sont des centaines de milliers à la traverser chaque année, et des milliers à mourir.
Heureusement des héros, comme ces deux Antoine (s), marins de SOS MEDITERRANEE, en sauvent des dizaines de milliers chaque année. Des héros.
Réduire le dossier des flux de migrants vers l’Europe à des chiffres et vouloir fermer les frontières, c’est ignorer toute la souffrance de leur parcours ; les persécutions, les viols collectifs des femmes, l’esclavage, les coups, les tirs à bout portant juste parce qu’on est pas de la bonne couleur de peau, de la même religion ou qu’on ne partage pas les mêmes opinions politiques ; c’est comme monter des barbelés devant des milliers de juifs persécutés par les nazis à l’époque et leur dire de retourner de là où ils viennent, l’enfer.
Les fachos existent encore et ne parlent pas allemand.
Plus tard, le film Samba c’est une deuxième vague en pleine tronche pour pas qu’on sèche, qu’on se dessèche…comme ces miches de pain que les fachos préfèrent voir rassies plutôt que partagées.
Survivre à la mer est une étape. La fille de Talal a survécu à la mer, elle aussi. Mais derrière, pour être vraiment heureux, le chemin de ceux qui se réfugient chez nous est encore très long.